‘Parlement’ : la série censée faire aimer l’Europe

Parlement Série France TV

France Télévisions diffuse actuellement sur sa plateforme streaming les dix épisodes de la première saison de Parlement, une série résolument humoristique racontant le quotidien infernal de Samy, jeune assistant parlementaire à Bruxelles et Strasbourg. Moquer le fonctionnement d’une institution pour la rendre sympathique, tel était le calcul de la production. Si tant est que le spectateur en ressorte plus séduit qu’affligé…

Le fonctionnement des institutions de l’Union européenne est trop opaque ? Le désir d’Europe s’évanouit dans le cœur des vieilles nations ? La vague populiste menace d’engloutir le projet commun de paix, de tolérance et de démocratie ? Qu’à cela ne tienne ! Les créateurs de la série Parlement ont relevé un défi pédagogico-politique : faire mieux connaître la seule institution démocratique de l’UE, son Parlement, et, à travers le prisme de l’autodérision, réconcilier le public avec la construction européenne. Dans cette première saison, nous suivons donc les débuts laborieux à Bruxelles du jeune Samy (Xavier Lacaille), nouvel assistant parlementaire du député centriste Michel Specklin (Philippe Duquesne). Néophyte au point d’ignorer ce qu’est un règlement européen, Samy, d’emblée, est en charge d’une tâche difficile : rédiger un rapport pour l’adoption d’un amendement en commission des pêches. Malgré un impair embarrassant (il est piégé par un lobbyiste), il apprend sur le tas les étapes de la procédure parlementaire européenne, ses combines et ses chausse-trappes. Il devient par la force des choses un fervent opposant à la pratique barbare du finning, l’ablation de l’aileron des requins vivants par les pêcheurs.

« Lui-même peu dégourdi, Samy découvre l’incompétence démoralisante du député Specklin. Ignorant, déconnecté des réalités, lâche et fainéant, Stecklin renvoie au public l’image de l’élu-parasite par excellence »

Le combat politique mené est légitime. Il doit pouvoir démontrer au spectateur que l’UE est utile et peut agir contre, par exemple, la maltraitance animale… Mais cette idée peine à s’élever au-dessus de ce qui occupe l’essentiel de ces dix épisodes : l’insanité des personnages, le ridicule des situations et l’hypocrisie générale de tout un système.

Voyage en absurdie

Eamon. Retenons son nom et son visage, celui de l’acteur William Nadylam. Fonctionnaire européen, il apparaît comme le seul être cultivé, intègre et réellement intelligent au sein d’un barnum de bras-cassés. Lui-même peu dégourdi, Samy découvre dès le jour de son arrivée à Bruxelles l’incompétence démoralisante du député Stecklin. Ignorant, déconnecté des réalités, lâche et fainéant, Specklin renvoie au public l’image de l’élu-parasite par excellence. Et la jolie Rose (Liz Kingsman), que tente de séduire Samy, n’est guère mieux lotie ! La députée britannique qu’elle assiste se montre d’une bêtise plus effroyable encore. Cette conservatrice modérée qui n’a jamais travaillé de sa vie est devenue pro-Brexit, radicalisée sur Internet en visionnant des discours de Boris Johnson. Les scénaristes ne s’en cachent pas, une diatribe antipopuliste se dissimule derrière Parlement. Malgré leur médiocrité, malgré leurs travers et leur absence totale de scrupules, malgré les coups bas qu’ils ne manquent pas de s’infliger, les partisans de l’UE entendent bien demeurer les remparts fièrement érigés contre la haine que véhiculent les Viktor Orban, les Matteo Salvini et les Boris Johnson, placés dans le même sac à mensonges. Le réel danger n’est donc pas représenté par les néonazis suédois, qui font finalement partie du système, mais par les terribles eurosceptiques… La critique est peu subtile mais omniprésente. La scène d’ouverture de l’épisode n°1 montre d’ailleurs une beuverie entre députés pro-Brexit d’où se dégage une impression tenace de stupidité populacière. Il en sera de même dans chaque séquence relative au Brexit, événement présenté comme une catastrophe économique, la cause de grands malheurs individuels et l’erreur de tout un peuple commise sur un coup de tête…

Aussi, la série fait-elle la joie de la presse centriste et des spectateurs europhiles, ravis de ce projet artistique plein de bonnes intentions et objectivement réussi, bien interprété, bien filmé, solidement documenté et vraiment drôle. Est-il possible pour autant que le spectateur-citoyen sans opinion tranchée se prenne d’une passion inconditionnelle pour la construction européenne en regardant Parlement ? Difficile d’y croire tant la série décrit un univers édifiant, aussi abstrus qu’absurde. Faut-il avoir l’Europe sacrément chevillée au corps pour trouver exaltant le fonctionnement d’une assemblée où le lobbying est omniprésent, où le personnel n’est jamais loin du conflit d’intérêt – Rose elle-même travaille brièvement pour le lobby bancaire sans avoir formellement démissionné – où le rôle des députés et de leurs assistants se résume à instrumentaliser un amendement, sans considération de la question de fond, pour obtenir satisfaction sur un enjeu futur, où le jeu institutionnel est si complexe que les élus, pourtant propulsés par le suffrage universel, ne tiennent qu’un rôle marginal dans la prise de décision… Sans compter les nombreuses scènes bouffonnes (la bataille de nourriture à la cafétéria, le déroulement ubuesque des séances en commission…) dont l’image des institutions communautaires ne ressort pas grandie. Loin de désactiver les clichés en les moquant sur le mode satyrique, Parlement, à son corps défendant, leur donne du crédit.

La manipulation hasardeuse des clichés

Reconnaissons-le : les auteurs de la série ont eu le bon goût de ne pas réchauffer la fable mielleuse du couple franco-allemand. Les attaques forcenées de la psychorigide Ingeborg Becker contre le projet d’amendement de Samy et Michel Specklin démontrent que des intérêts tout autres que celui du citoyen européen l’emportent. Elles illustrent aussi la fameuse opposition entre la froide rigueur germanique et l’impréparation gauloise…

« Loin de désactiver les clichés en les moquant sur le mode satyrique, Parlement, à son corps défendant, leur donne du crédit »

La propagation des clichés nationaux est, en fait, l’un des principaux ressors comiques de Parlement. L’Espagnol est néofranquiste, l’Anglaise picole et vit drapée dans l’Union jack, l’Allemand s’appâte à la saucisse, l’Italien est filou et vénal, l’Américain superficiel et culotté… Loin de toute malveillance, ces stéréotypes ressassés à longueur d’épisodes font sourire. Tel n’est pas le cas de certains passages franchement troublants, plus proches de l’aveu inconscient que du trait parodique. Il en ainsi de la mésaventure que connaît Samy avec une commissaire européenne, obsédée par ses relations avec les géants du numérique et qui n’accepte de servir de caution au combat pour les requins que pour lustrer son image. De même, le monologue d’Ingeborg (épisode 9) ne révèle pas seulement l’aigreur d’un personnage de fiction. Avec une fidélité absolue et des mots cruels, il condense tant le discours des élites – construit sur l’aversion des nations, de leurs particularismes et de leurs faiblesses, le mépris des citoyens trop immatures pour comprendre le fonctionnement de l’Europe et suffisamment idiots pour réélire des gouvernements populistes – que la critique de la base, selon laquelle l’UE n’est qu’un refuge de technocrates isolés du monde.

Cette saison inaugurale de Parlement amuse et divertit, mais elle génère aussi un malaise certain. « Ce n’est pas une série à message, c’est un grand cri d’amour au projet européen » a expliqué le réalisateur Noé Debré… Le genre de cri d’amour qui fait paraître niais l’adorateur et suspect l’élu du cœur.


Parlement (2020) est une coproduction allemande, belge et française. Dix épisodes de 25 minutes environ. Réalisateur : Noé Debré. Avec : Xavier Lacaille, Liz Kingsman, Philippe Duquesne, Lucas Englander, William Nadylam et Christiane Paul.

Auteur : Gabriel Bernardon

Geek qui se soigne. Attraction-répulsion pour la politique. J'aurais voulu être un poète.

Laisser un commentaire